Les espaces scolaires, gages de bien-être et de réussite.

Si l’on s’intéresse à l’histoire de l’architecture scolaire, on peut noter des grandes périodes qui incarnent des intentions sensiblement différentes. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les bâtiments se voulaient majestueux, incarnant l’école républicaine au centre de la cité. Dans les années 1960-70, la fonctionnalité et la simplicité ont été privilégiées pour suivre l’essor du baby-boom. A la fin du XXe siècle et au début du XXIe, on peut noter une évolution vers des choix privilégiant le geste architectural dans une forme de compétition territoriale. Ces choix, parfois contestables d’un point de vue de l’usage, on conduit les collectivités locales à penser de plus en plus l’architecture scolaire au service des utilisateurs de l’école, pour le bien-être et la réussite. Mais n’oublions pas que, notamment dès les années 1980, des projets ambitieux ont été portés pour rendre l’espace scolaire accueillant, ouvert et favorisant les décloisonnements. L’exemple de la maison des 3 espaces à Saint-Fons en est une illustration emblématique[1]. Mais on peut retrouver de nombreux autres exemples d’aménagements conviviaux comme les mezzanines, les serres, les mini-gradins, etc.

Ce détour historique très bref permet de rappeler que la question des espaces scolaires n’est pas nouvelle. Des projets alliant architecture et innovation pédagogique ont déjà vu le jour. S’ils continuent à porter leurs fruits, leur force mobilisatrice s’est parfois diluée avec le temps et le départ des équipes pionnières. C’est ce qui me semble justifier que tout projet aujourd’hui doit bien intégrer cette dimension temporelle en documentant précisément les intentions initiales et en continuant à les partager, les évaluer au cours du temps et s’autoriser des correctifs.

Une vision globale et partagée

Penser l’espace scolaire, c’est d’abord partager une vision globale avec tous les acteurs de l’école. La division Éducation nationale = pédagogie et Collectivité = bâtiments et moyens matériels est certes nécessaire pour s’assurer du respect des prérogatives de chacun, mais limitante si l’on veut travailler sur des projets qui répondent aux attentes partagées. D’abord parce que les collectivités agissent de plus en plus sur le champ pédagogique qu’on le regrette ou non[2]. Par l’organisation des temps péri et extrascolaires, par les conventions tripartites, par les équipements numériques, etc., les choix qu’elles opèrent ont un impact sur les possibilités pédagogiques des enseignants. Il est donc temps d’agir ensemble et de penser l’école de demain sans frontières institutionnelles et postures catégorielles.

Penser l’espace scolaire ensemble peut se faire à l’occasion de la construction d’un nouvel établissement scolaire. C’est d’autant plus facile lorsque l’équipe pédagogique est déjà constituée dans le cadre d’une école préfiguratrice modulaire, comme cela est de plus en plus souvent le cas ; où quand il est possible de préflécher à l’avance une direction et une partie de l’équipe pédagogique. Cela permet de faire participer les futurs usagers de l’école, professionnels mais aussi enfants, pour travailler avec les architectes qui y sont de plus en plus favorables et habitués. Je peux citer en exemple des coffres qui ont été demandés par les enfants dans les couloirs pour que leur cartable n’encombre pas la salle de classe. Cela a occasionné une modification substantielle du dessin des salles des classes et de leur entrée. Un tiers peut être facilitant entre la maîtrise d’œuvre et les équipes pédagogiques pour faciliter le travail collaboratif et éviter des tensions inhérentes aux projets architecturaux. Des associations spécialisées, des designers, peuvent jouer ce rôle qui permet de mettre autour de la table enseignants, Ville, enfants et maître d’œuvre et penser d’abord le projet de construction en articulation avec le projet pédagogique. On peut même aller jusqu’à livrer un bâtiment non terminé afin que la ou les premières années d’utilisation permettent d’ajuster les espaces en fonction d’un usage éprouvé.
Mais cette méthode de travail peut s’appliquer à des projets de moindre ampleur comme la refonte d’une bibliothèque d’école. Autour d’un designer, tous les utilisateurs de tous les temps de la journée se retrouvent pour repenser l’usage de l’espace. Ce n’est qu’une fois ce travail préalable réalisé que le designer va traduire en dessin le projet d’aménagement de la nouvelle salle. L’exemple d’une école à Villeurbanne (cf. photo ci-dessous) montre qu’il est possible en un temps relativement court, de repenser profondément la fonction et le bien-être dans une bibliothèque aménagée précédemment de façon très classique. Ce projet a mobilisé toute la communauté éducative mais aussi les services menuiserie de la Ville qui ont ainsi  contribué avec leur savoir-faire à un projet éducatif[3].

Architecture et pédagogie sont liés

La plupart aménagements peuvent être conçus en étroite collaboration entre les collectivités et les équipes des établissements scolaires. Les cours d’école végétalisées, les espaces de travail collaboratif en collège[4], les salles de classes, etc. Sur ces dernières, de nombreuses expérimentations ont pu être menées, notamment pour rendre la classe plus flexible, avec des mobiliers qui permettent une installation en îlot, etc. J’ai l’exemple en tête de CP à dédoubler sans espace classe supplémentaire disponible. Il a fallu inventer des espaces différenciés avec les enseignants de ces classes qui devaient faire pour la première fois de la carrière du co-enseignement.

Ces exemples montrent aussi des limites. D’abord parce qu’il n’est pas aisé pour une collectivité d’aménager de façon individualisée alors qu’elle gère des dizaines de bâtiments et que les équipes pédagogiques peuvent changer. Ensuite parce qu’il ne suffit pas de changer l’espace pour faire réussir mieux les élèves. Il n’existe pas de dispositif magique qui serait transposable partout. Un aménagement innovant qui ne correspond pas à la pédagogie employée peut être contre-productif. Il existe enfin peu d’évaluation à grande échelle de ces travaux, l’Éducation nationale se concentrant surtout sur les projets qu’elle labellise et suit. Il reste donc une évaluation partagée de l’architecture scolaire à mettre en place entre l’État et les collectivités, ainsi qu’un pilotage associé.

L’enjeu est pourtant crucial. L’École publique est de plus en plus concurrencée par des projets alternatifs qui mettent en avant une pédagogie et un aménagement attrayants (avec toutes les réserves qualitatives que beaucoup suscitent). Repenser l’école ensemble, c’est redonner du pouvoir d’agir aux professionnels et ainsi que de la motivation. Le cadre trop normatif imposé par les collectivités est selon moi, avec celui rigide de l’institution scolaire, une des principales raisons de démotivation des enseignants les plus mobilisés. Faire tomber les barrières institutionnelles, donner de la liberté d’inventer et d’agir, c’est peut-être une des clef du réenchantement de la forme scolaire et donc du bien-être et de la réussite…


[1] Lire le dossier des Cahiers pédagogiques sur la maison des 3 espaces par Monique Royer

[2] Quelles compétences scolaires et éducatives pour les collectivités territoriales – 27 mars 2021 – Éducation et devenir

[3] Refonte de la BCD de l’école Louis Armand Villeurbanne – Design Gaëtan Mazaloubeaud

[4] Voir à ce sujet le projet mobilisateur du collège Jean-Philippe Rameau à Champagne au Mont d’Or (69) http://www.ecla-education.fr/

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