Végétaliser les cours, une expérience villeurbannaise

J’ai un souvenir précis du déclencheur. 11 août 2017. Je visitais les chantiers d’été comme chaque année. A l’école Edouard Herriot, je vois cette magnifique réalisation bitumée :

Parfait, lisse, pratique, sans accroc. Une cour comme on les aime, dédiée aux sports collectifs, mais aussi à la meilleure rentabilité enfant par mètre carré. Refaire le bitume d’une cour, c’est cher. 150 à 200 000€ pour celle-ci. Et subitement, j’ai l’impression que cet arbre me met en accusation, enserré dans l’artificialisation des sols. Un goudron noir à vous réchauffer tout un quartier. Je me dis que ce n’est plus possible de continuer ainsi. Heureusement, seule la moitié de la cour est faite, l’autre moitié étant programmée pour l’été 2018. Je demande à ce qu’on étudie un enrobé clair et une végétalisation accrue. C’est le début d’un basculement profond dans l’aménagement des cours d’écoles à Villeurbanne. Passons les réticences inhérentes à toute nouvelle idée. Je mettrai plutôt l’accent sur le fait que les services techniques ont peu à peu compris l’intérêt, y compris pour leur métier, de travailler différemment.

Je ne voulais pas simplement un nouvel enrobé. Il fallait un nouveau projet. En 2020, la plupart des candidats aux élections municipales ont promis la végétalisation des cours. Mais rappelons qu’en 2017, presque aucune ville n’avait franchi le pas. Il a donc fallu repenser l’usage d’une cour : pas simplement comme un grand rectangle vide sans aspérité, mais comme un espace à mieux partager. La direction de l’éducation a réfléchi parallèlement à “dégenrer” les cours. En cassant les espaces trop vastes, on limite l’usage majoritairement masculin associé souvent au football. On permet des lieux de rencontre plus mixtes et on laisse davantage de place aux filles, moins contraintes de raser les murs pour éviter les ballons.

De l’enrobé clair à la végétalisation

L’idée initiale était d’abord de changer la couleur de l’enrobé pour une couleur plus claire et donc moins chaude. Des consultations ont été faites pour choisir le meilleur matériau en limitant les coûts. C’est ainsi qu’a été écarté le béton perméable au coût plus important et à l’entretien plus complexe. Eiffage a proposé un enrobé plus naturel à base de terre ocre des carrières de Roussillon. Cet enrobé est aggloméré avec de la colle naturelle issue du bois. Une fois ce pré-requis validé, la direction paysage et nature a dessiné la nouvelle cour en accroissant sensiblement la part du végétal. Ce dessin a été travaillé avec l’équipe pédagogique de l’école ainsi que l’équipe périscolaire. Il s’agissait en effet de redéfinir les fonctions de chaque espace en créant notamment une zone plus calme. Cela peut paraître anodin, mais le grand banc en bois créé sur mesure est en soi une rupture avec une politique ancienne de retirer les bancs des cours. Ce retrait était motivé par la volonté de réduire les accidents. Moins par celle de réfléchir aux besoins des enfants sans doute… Un mixage de zones végétalisées inaccessibles (pour mieux la densifier) et accessible (pour le potager intégré) m’a semblé une réussite et constituer un bon équilibre. Il faut bien sûr imaginer la cour avec des arbres plus âgés pour concevoir la densification végétale.

© DR

Cas d’école

Nous étions sans le savoir les premiers de l’agglomération lyonnaise à lancer un projet si ambitieux, décliné dans deux autres groupes scolaires (Louis-Armand et Lakanal). Nous avons sans doute contribué avec d’autres villes éducatrices à lancer un mouvement devenu une évidence en seulement deux années. Paris lançait les joliment nommées “cours oasis” la même année. Le terme d’oasis montre bien à la fois l’ambition et la limite d’un tel projet. Ambition dans la globalité d’un petit écosystème rafraîchissant à l’échelle de l’école. Limite car un oasis se situe au milieu d’un désert. Pour Edouard Herriot, ce désert est celui des ilôts de chaleur urbaine. En même temps que nous achevions la cour, la copropiété attenante refaisait l’enrobé du parking d’un noir massif et en arrachant une partie de la haie ! La débitumisation est donc bien une affaire de quartier, de ville et de métropole.

Kit pédagogique

J’ai tenu dès le départ à ce que ce projet soit un projet d’école, avec une dimension pédagogique, ce qui a pu être fait grâce à l’enthousiasme de l’équipe enseignante. L’association Fréquence école a développé un kit pédagogique pour l’école Jules Guesde qui était une école témoin car restructurée deux avant. La vidéo ci-dessous décrit bien le travail mené autour des îlots de chaleur urbains et l’utilité des mesures.

Mobiliser la recherche

Les mesures étaient en effet une dimension essentielle du projet : d’une part pour le maître d’ouvrage, afin de mieux mesurer l’effet sur la température de la nouvelle cour ; d’autre part pour les élèves afin qu’ils puissent comprendre le processus et ses effets. J’avais été inspiré par un projet développé par l’ENS Lyon et que j’avais soutenu comme élu au numérique éducatif à la métropole de Lyon. Il s’agissait d’installer des stations météo connectée dans plusieurs collèges. (le détail ici https://blog.tremplin.ens-lyon.fr/GerardVidal/Use_Pi3W_Stretch.html). Grâce à l’École urbaine de Lyon (EUL), et notamment Hervé Rivano, nous avons pu mettre en place un partenariat universitaire mobilisant l’EUL, l’Insa de Lyon, et l’Université Lyon 3. Des capteurs ont été installés dans différentes cour transformées et témoins. L’avantage de l’école Edouard Herriot est qu’elle cumulait les deux qualités.

Et demain ?

Avant la fin du mandat municipal, nous avons programmé trois programmes de cours végétalisées réalisées à l’été 2020. Le reportage suivant en donne une bonne idée :

https://www.bfmtv.com/societe/a-villeurbanne-les-cours-d-ecoles-se-vegetalisent_AV-202008040100.html

Les cours végétalisées que j’appellerais première génération visent à enlever du bitume pour y substituer un peu de végétal et si possible de changer la composition du sol artificiel restant. Les prochaines générations devraient selon moi inverser le paradigme :

  • la cour serait végétale, l’artificialisation étant l’exception.
  • la transformation de la cour devient un élément d’une transformation globale de l’école écologique
  • l’école peut être le point de départ d’une transformation de ses abords puis du quartier dans son ensemble.

Si les inspirations venant de Belgique, de Catalogne, du Danemark ne manquent pas, la France n’est pas en reste avec Strasbourg, Lille et bien sûr Paris. Cette dernière bénéficie de moyens d’ingénierie très importants qui peuvent rendre leur expérience intimidante. Saluons donc la position de la capitale dans l’ouverture de ses données en open source pour diffuser la méthode. A partir de ces expériences, je crois possible de bâtir des projets à une échelle locale, adaptée au moyens des collectivités mais aussi aux contraintes climatiques. Un rideau de houblon rafraichira les classes de Lille, tandis que des essences plus méditerranéennes assureront une ombre appréciable même en cas de sécheresse.

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