L’école privée : L’éléphant au milieu de la pièce (pour parler d’autre chose que du mammouth)

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a remis la question de la mixité sociale au cœur du discours politique. Il semble vouloir reprendre le travail initié par Najat Vallaud-Belkacem en 2015 qui avait enclenché une démarche nationale d’expérimentation de la mixité dans les collèges pilotées par le CNESCO. Cette démarche a commencé à porter ses fruits à Toulouse, Paris, dans le Gard, etc.

En qualifiant le collège « d’homme malade du système », Pap Ndiaye souligne le décalage entre la promesse républicaine d’un collège unique égalitaire et la réalité de la ségrégation scolaire. Or, tout dans ce débat semble éviter la question pourtant fondamentale de l’enseignement privé, comme l’éléphant au milieu de la pièce, visible de tous mais dont personne n’ose parler. Car, si ce n’est pas le seul facteur de dégradation de la mixité sociale à partir de la 6e, il en est un très important.

La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP, le service statistique du Ministère de l’Éducation nationale) a publié cet été des chiffres implacables sur l’écart immense de composition sociale des établissements publics et privés. Les collèges publics ont seulement près de 20% de leur population issue d’un milieu très favorisé et plus de 42% de issue d’un milieu défavorisé. C’est l’exact inverse pour le secteur privé. Bien sûr, ces moyennes cachent de fortes disparités. Il y a des collèges publics très favorisés, comme il y a des collèges privés à composition sociale très mixtes. Mais comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité de l’espèce.

Certes, ces chiffres sont connus depuis longtemps, mais la tendance doit plus que nous alerter. En 30 ans cet écart a doublé.

La publication, cet été également, en données ouvertes de l’Indice de position sociale (IPS) obtenue à la suite d’une décision de justice est ambivalente. D’un côté, elle est légitime car il s’agit de données publiques qui peuvent être utile à la prise de décision en matière de de mixité sociale. D’un autre côté, elle encourage les classements ineptes dont se gargarise une certaine presse. Une chaîne d’information en continu a d’ores et déjà créé un tableau qui permet de situer les établissements de son département. Il est désormais clairement sous-entendu que la composition sociale = réussite scolaire. Mais quoi qu’il en soit, les données sont là et plus personne ne peut les ignorer. Le Comité national d’action laïque (CNAL) relève ainsi : “alors que moyenne nationale des IPS du niveau collège est de 103,3, celle des 1662 collèges privés sous contrat est de 114,2 points ; 72% d’entre eux ont un indice supérieur ou égal à la moyenne nationale”.

Un système éducatif qui organise son propre déséquilibre

Comment dès lors parler d’égalité républicaine quand le système éducatif organise une ségrégation sociale aggravant la ségrégation urbaine au lieu de la réduire ? Car, il faut le rappeler, les écoles et collèges privés sous contrat sont très largement financés par l’impôt. La Nation consacre ainsi 12 milliards d’euros en financement des professeurs, pour ce qui relève de l’État, et des moyens de fonctionnement pour ce qui concerne les collectivités locales. Si l’aide publique à l’investissement est en théorie plafonnée, il faut relever qu’elle est atténuée par un patrimoine constitué pour grande partie de patrimoine ancien. Les dons et legs défiscalisés s’y ajoutent, et de nombreuses collectivités offrent des garanties d’emprunt aux organismes de gestion de ces écoles.

Depuis 2019, la loi École de la confiance oblige les communes à financer les maternelles, renforçant encore les moyens des établissements privés (une estimation de 150 millions d’euros supplémentaire a été faite par les associations de collectivités, elle est sans doute sous-estimée).

Pourquoi, alors que l’École publique fait sans cesse l’objet de polémique sur chacun des faits qui s’y déroule, sur la façon dont la pédagogie doit y être employée (souvent par des personnes qui n’y scolarisent pas leur enfant), est-il impossible d’aborder sereinement la question de l’école privée ? En parler, c’est se voir systématiquement renvoyé à la guerre scolaire des années 1980 comme si celle-ci n’avait pas été déjà gagnée par l’enseignement catholique.

Personne ne remettra en cause la liberté d’enseignement, principe consacré au niveau européen par la CEDH.  Il ne s’agit pas davantage de stigmatiser par principe des établissements et leurs professionnels, encore moins les choix individuels de parents qui veulent le mieux pour leurs enfants. Méfions-nous d’ailleurs de la propension à donner des leçons de bons républicains lorsqu’on vit soi-même dans un quartier gentrifié où la scolarisation dans le public n’a rien d’un sacrifice.

Mais face à la réalité objective, comment ignorer une situation qui fait que l’égalité des chances est une incantation qui se fracasse sur le mur des inégalités réelles ? Comment ne pas s’interroger sur les dépenses de plus en plus importantes du service national universel dont l’un des objectifs est de permettre aux jeunes de retrouver un mélange social qui leur est dénié à l’École ?

Il y a pourtant des mécanismes qu’il serait temps d’interroger pour des établissements qui perçoivent les mêmes fonds publics de fonctionnement que le secteur public.

4 priorités pour agir rapidement

La sélection sociale et scolaire

L’élément le plus discriminant est le principe de sélection qui est (heureusement) interdit aux établissements publics. Ainsi, la sélection sociale – objectivée par les chiffres cités précédemment- se double d’une sélection scolaire. En effet, la plupart des établissements sélectionnent sur dossier scolaire pour l’entrée au collège. Cela signifie que même au sein des classes populaires, seuls ceux qui réussissent déjà le mieux à l’école seront privilégiés. Ajouté au capital social et culturel des élèves favorisés en plus grand nombre, les établissements privés ne peuvent qu’afficher des résultats supérieurs.

Certains établissements privés démontrent pourtant qu’il est possible de recruter sans dossier scolaire, avec des tarifs différenciés, et en veillant à diversifier la composition sociale des établissements. Pourquoi ne pas en faire une règle ?

Le retard dans les dispositifs d’inclusion

 Les établissements publics ont longtemps été quasiment les seuls à accueillir des dispositifs ULIS (enfants en situation de handicap), SEGPA (élèves présentant des difficultés scolaires importantes) et UPE2A (enfants allophones). C’est, pour ces établissements, ajouter la prise en compte de nombreux besoins particuliers à la difficulté sociale. Depuis, certains établissements privés ont été encouragés à ouvrir ces dispositifs, mais de manière encore trop timide et souvent dans des établissements qui font déjà le plus d’effort de mixité.

L’implantation des ULIS, SEGPA et UPE2A devrait se faire de manière beaucoup mieux répartie, en prenant en compte les difficultés sociales des établissements, quel que soit leur catégorie public ou privé. La gratuité des frais d’inscription pour les enfants concernés serait la règle grâce à la péréquation possible avec les familles les plus aisées.

L’exfiltration des élèves en cours de scolarité

Avant 16 ans, le secteur public – et c’est une nouvelle fois heureux – ne peut exclure un élève sans qu’il lui soit proposé un autre établissement. Beaucoup de chefs d’établissements s’engagent d’ailleurs dans un processus de limitation des exclusions. Les établissements privés n’ont pas cette obligation et ont tendance à exfiltrer les élèves de plus faible niveau scolaire avant les épreuves finales du brevet ou du baccalauréat. Les collèges de secteur, qui se voient déjà privés de nombreux élèves en meilleure réussite scolaire, doivent en plus accueillir ceux dont le secteur privé ne veut plus. Comment justifier une telle situation ? Comment les collèges privés peuvent-ils mettre en avant de meilleurs résultats lorsqu’ils excluent d’aider sur la durée les élèves les plus en difficulté ?

Un classement pertinent des établissements consisterait peut-être à intégrer le poids des externalités.

Une limitation des exclusions aux cas disciplinaires graves avec obligation de proposer une place dans un autre établissement privé entraînerait également un minimum de rétablissement de l’égalité de traitement entre établissements.

La différence de moyens

L’idée répandue par l’enseignement catholique selon laquelle les établissements publics auraient davantage de moyens que les établissements privés sous contrat mériterait débat. C’est sans doute le cas pour les investissements, les collectivités mettant des moyens importants sur la construction des bâtiments publics. En revanche, c’est souvent l’inverse pour les moyens de fonctionnement. Les écoles et collèges privés disposent des mêmes moyens que leurs équivalents publics du fait des lois Debré, Carle et plus récemment Blanquer, mais n’ont pas toujours les mêmes dépenses. Elles ont en effet recours à certains contrats aidés, ne sont pas tenues de recruter des personnels à temps plein annuel, n’ont pas les mêmes contraintes réglementaires, etc. Ces modérations de dépenses ajoutées aux recettes des familles (frais d’inscription) permettent de financer des postes supplémentaires et les dons et legs (qui bénéficient de déductions d’impôts !) s’y ajoutent. A titre d’exemple, les directions d’école primaires sont souvent totalement déchargées, quand il faut plus de 13 ou 14 classes dans les écoles publiques.

L’exacte parité de financement n’a donc pas de sens dans la mesure où ni les dépenses, ni la composition sociale des établissements ne sont comparables. Une remise à plat des modalités de financement devient d’autant plus urgente dans une période de contraction budgétaire et de manque de moyens criant pour l’École publique. Cela doit passer par une enquête approfondie de la Cour des Comptes qui manque encore aujourd’hui.

La société de 2022 n’est pas celle de 1959

D’autres sujets pourraient être soulevés. Il ne faut d’ailleurs pas considérer le problème d’un seul bloc. Certains établissements publics captent, pour diverses raisons (ancienneté des personnels, options rares, etc.), des fonds qui pourraient être davantage encore redistribués à des établissements publics moins favorisés. De la même manière, les écarts entre établissements privés sont importants, tant sur leur composition sociale que sur leur volonté d’aider les élèves les plus en difficulté. Les plus vertueux pourraient être davantage pris en exemple s’ils étaient mieux écoutés. Car ce sont souvent les établissements les plus riches et sélectifs qui ont le plus de pouvoir au sein des directions diocésaines et donc qui influent le plus sur le discours de celles-ci.  

Les règles de financement des écoles privées sous contrat n’ont pas vraiment changé depuis 1959. Or, la société a subi des bouleversements profonds en plus de 60 ans qu’il serait temps de prendre en compte.

Ce qui se joue ici concerne d’abord l’École et le déséquilibre croissant au sein de notre système éducatif. Mais ce problème interroge la société dans son ensemble et la République dans sa devise fondatrice. En 2015 déjà, un rapport du CNESCO écrivait cette phrase plus que jamais d’actualité :

« les séparatismes scolaire et social nuisent également aux apprentissages des élèves en difficulté. La ségrégation sociale est une bombe à retardement pour la société française. »

Les espaces scolaires, gages de bien-être et de réussite.

Si l’on s’intéresse à l’histoire de l’architecture scolaire, on peut noter des grandes périodes qui incarnent des intentions sensiblement différentes. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les bâtiments se voulaient majestueux, incarnant l’école républicaine au centre de la cité. Dans les années 1960-70, la fonctionnalité et la simplicité ont été privilégiées pour suivre l’essor du baby-boom. A la fin du XXe siècle et au début du XXIe, on peut noter une évolution vers des choix privilégiant le geste architectural dans une forme de compétition territoriale. Ces choix, parfois contestables d’un point de vue de l’usage, on conduit les collectivités locales à penser de plus en plus l’architecture scolaire au service des utilisateurs de l’école, pour le bien-être et la réussite. Mais n’oublions pas que, notamment dès les années 1980, des projets ambitieux ont été portés pour rendre l’espace scolaire accueillant, ouvert et favorisant les décloisonnements. L’exemple de la maison des 3 espaces à Saint-Fons en est une illustration emblématique[1]. Mais on peut retrouver de nombreux autres exemples d’aménagements conviviaux comme les mezzanines, les serres, les mini-gradins, etc.

Ce détour historique très bref permet de rappeler que la question des espaces scolaires n’est pas nouvelle. Des projets alliant architecture et innovation pédagogique ont déjà vu le jour. S’ils continuent à porter leurs fruits, leur force mobilisatrice s’est parfois diluée avec le temps et le départ des équipes pionnières. C’est ce qui me semble justifier que tout projet aujourd’hui doit bien intégrer cette dimension temporelle en documentant précisément les intentions initiales et en continuant à les partager, les évaluer au cours du temps et s’autoriser des correctifs.

Une vision globale et partagée

Penser l’espace scolaire, c’est d’abord partager une vision globale avec tous les acteurs de l’école. La division Éducation nationale = pédagogie et Collectivité = bâtiments et moyens matériels est certes nécessaire pour s’assurer du respect des prérogatives de chacun, mais limitante si l’on veut travailler sur des projets qui répondent aux attentes partagées. D’abord parce que les collectivités agissent de plus en plus sur le champ pédagogique qu’on le regrette ou non[2]. Par l’organisation des temps péri et extrascolaires, par les conventions tripartites, par les équipements numériques, etc., les choix qu’elles opèrent ont un impact sur les possibilités pédagogiques des enseignants. Il est donc temps d’agir ensemble et de penser l’école de demain sans frontières institutionnelles et postures catégorielles.

Penser l’espace scolaire ensemble peut se faire à l’occasion de la construction d’un nouvel établissement scolaire. C’est d’autant plus facile lorsque l’équipe pédagogique est déjà constituée dans le cadre d’une école préfiguratrice modulaire, comme cela est de plus en plus souvent le cas ; où quand il est possible de préflécher à l’avance une direction et une partie de l’équipe pédagogique. Cela permet de faire participer les futurs usagers de l’école, professionnels mais aussi enfants, pour travailler avec les architectes qui y sont de plus en plus favorables et habitués. Je peux citer en exemple des coffres qui ont été demandés par les enfants dans les couloirs pour que leur cartable n’encombre pas la salle de classe. Cela a occasionné une modification substantielle du dessin des salles des classes et de leur entrée. Un tiers peut être facilitant entre la maîtrise d’œuvre et les équipes pédagogiques pour faciliter le travail collaboratif et éviter des tensions inhérentes aux projets architecturaux. Des associations spécialisées, des designers, peuvent jouer ce rôle qui permet de mettre autour de la table enseignants, Ville, enfants et maître d’œuvre et penser d’abord le projet de construction en articulation avec le projet pédagogique. On peut même aller jusqu’à livrer un bâtiment non terminé afin que la ou les premières années d’utilisation permettent d’ajuster les espaces en fonction d’un usage éprouvé.
Mais cette méthode de travail peut s’appliquer à des projets de moindre ampleur comme la refonte d’une bibliothèque d’école. Autour d’un designer, tous les utilisateurs de tous les temps de la journée se retrouvent pour repenser l’usage de l’espace. Ce n’est qu’une fois ce travail préalable réalisé que le designer va traduire en dessin le projet d’aménagement de la nouvelle salle. L’exemple d’une école à Villeurbanne (cf. photo ci-dessous) montre qu’il est possible en un temps relativement court, de repenser profondément la fonction et le bien-être dans une bibliothèque aménagée précédemment de façon très classique. Ce projet a mobilisé toute la communauté éducative mais aussi les services menuiserie de la Ville qui ont ainsi  contribué avec leur savoir-faire à un projet éducatif[3].

Architecture et pédagogie sont liés

La plupart aménagements peuvent être conçus en étroite collaboration entre les collectivités et les équipes des établissements scolaires. Les cours d’école végétalisées, les espaces de travail collaboratif en collège[4], les salles de classes, etc. Sur ces dernières, de nombreuses expérimentations ont pu être menées, notamment pour rendre la classe plus flexible, avec des mobiliers qui permettent une installation en îlot, etc. J’ai l’exemple en tête de CP à dédoubler sans espace classe supplémentaire disponible. Il a fallu inventer des espaces différenciés avec les enseignants de ces classes qui devaient faire pour la première fois de la carrière du co-enseignement.

Ces exemples montrent aussi des limites. D’abord parce qu’il n’est pas aisé pour une collectivité d’aménager de façon individualisée alors qu’elle gère des dizaines de bâtiments et que les équipes pédagogiques peuvent changer. Ensuite parce qu’il ne suffit pas de changer l’espace pour faire réussir mieux les élèves. Il n’existe pas de dispositif magique qui serait transposable partout. Un aménagement innovant qui ne correspond pas à la pédagogie employée peut être contre-productif. Il existe enfin peu d’évaluation à grande échelle de ces travaux, l’Éducation nationale se concentrant surtout sur les projets qu’elle labellise et suit. Il reste donc une évaluation partagée de l’architecture scolaire à mettre en place entre l’État et les collectivités, ainsi qu’un pilotage associé.

L’enjeu est pourtant crucial. L’École publique est de plus en plus concurrencée par des projets alternatifs qui mettent en avant une pédagogie et un aménagement attrayants (avec toutes les réserves qualitatives que beaucoup suscitent). Repenser l’école ensemble, c’est redonner du pouvoir d’agir aux professionnels et ainsi que de la motivation. Le cadre trop normatif imposé par les collectivités est selon moi, avec celui rigide de l’institution scolaire, une des principales raisons de démotivation des enseignants les plus mobilisés. Faire tomber les barrières institutionnelles, donner de la liberté d’inventer et d’agir, c’est peut-être une des clef du réenchantement de la forme scolaire et donc du bien-être et de la réussite…


[1] Lire le dossier des Cahiers pédagogiques sur la maison des 3 espaces par Monique Royer

[2] Quelles compétences scolaires et éducatives pour les collectivités territoriales – 27 mars 2021 – Éducation et devenir

[3] Refonte de la BCD de l’école Louis Armand Villeurbanne – Design Gaëtan Mazaloubeaud

[4] Voir à ce sujet le projet mobilisateur du collège Jean-Philippe Rameau à Champagne au Mont d’Or (69) http://www.ecla-education.fr/

Les programmes scolaires, un enjeu territorial

Il faut toujours se méfier des négations en politique. Lorsque Jean-Michel Blanquer disait en 2017 “il faut en finir avec le stop and go en matière éducative”, ne cherchait-il pas à se prémunir de ses propres arrières-pensées ? Pour cette dernière année avant la campagne présidentielle, le ministre, via une note du Conseil supérieur des programmes, met la main au dernier acte de déconstruction systématique des actions de ses prédécesseurs. En remettant en cause profondément les programmes de maternelle, il s’attaque à l’un des rares consensus assez évident pour la communauté éducative. En 5 ans, je n’ai jamais rencontré un.e enseignant.e de maternelle regrettant les anciens programmes.

Il ne s’agit pas ici de développer les sous-jacents idéologiques qui consistent à primariser la maternelle, à apprendre à lire, écrire, compter le plus tôt possible quand la France est déjà l’un des rares pays à adopter la forme scolaire pour les plus petits. Les pédagogues expliqueront mieux que moi cette maladie française de la pression académique dès le plus jeune âge.

La maternelle, première école du partenariat Etat / collectivité

En revanche, la maternelle résulte, plus qu’aucune autre école, d’un projet partagé entre l’Éducation nationale et les collectivités et où l’adhésion des parents est encore plus nécessaire. J’ai souvent regretté qu’on n’associe pas davantage les collectivités aux réflexions sur les évolutions pédagogiques. La réforme du collège par exemple, aurait été l’occasion de repenser l’espace scolaire pour le rendre plus modulable et favoriser les travaux de groupes et la place du numérique dans les apprentissages. Le dédoublement des CP/CE1 a montré à quel point la gestion des espaces dans l’école est déterminant pour la pédagogie. J’y reviendrai dans un prochain article.

En maternelle, la moitié du personnel de la classe est municipal, sans compter le périscolaire. Les villes ont développé de plus en plus de formations communes ATSEM/Enseignant.es pour que chacun.e contribue à l’acte éducatif. L’aménagement des espaces a été repensé progressivement en fonction des nouveaux programmes de 2015, afin de laisser davantage de place pour se mouvoir dans l’espace. Des moyens pédagogiques ont été acquis pour faire de la maternelle l’école du langage, de l’exploration du monde, de l’expression artistique, etc. A quoi sert tout ce travail partenarial s’il est remis en cause tous les 5 ans, alors que ce temps est à peine suffisant pour le mettre en place ?

Les collectivités devraient s’imposer davantage dans ce débat. Si l’Etat est incapable d’assurer la continuité des politiques publiques en matière éducative (chaque gouvernement a sa part de responsabilité), n’est-ce pas aux collectivités de jouer ce rôle ? N’est-ce pas à elles de rappeler qu’elles ne sont plus des prestataires de l’Etat mais bien des partenaires ? Qu’à ce titre elles sont garantes du bon usage des derniers publics, de la montée en compétence et de la reconnaissance de leurs agents, et qu’elles jouent un rôle essentiel aux côtés de l’Etat dans la réussite éducative de tous les enfants. Si toutefois ce dernier objectif est celui réellement souhaité…

Un boulot immense

L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine marquera durablement l’Éducation nationale et, espérons-le, l’ensemble des Français. L’école n’a pas été à l’écart du terrorisme. Rappelons que c’est notamment dans une école que le terrorisme islamiste a repris en France en 2011. Des enfants et un professeur ont été tués à bout portant par Mohamed Merah parce que Juifs. La France a manqué à ses valeurs en ne descendant pas dans la rue cette année-là.
Depuis 2015, tous les enfants de France vivent avec le terrorisme car ils ont tous appris, dès le plus jeune âge, à se cacher sous des tables et à faire silence. Nous ne devrions donc par être surpris de ce qui s’est passé ce vendredi 16 octobre. Et pourtant, nous ne l’imaginions pas vraiment, comme si le sacré du professeur était une protection magique. Un enseignant coupé en deux pour avoir fait son travail, c’est l’horreur absolue. Samuel Paty était indéniablement courageux. Mais c’est en soi gravissime qu’il soit devenu courageux d’enseigner. Rappelons également qu’une jeune femme, Mila, a dit à sa mère récemment qu’elle savait qu’elle mourrait assassinée. Elle n’a pas 18 ans et vit dans un internat sécurisé. Aucun jeune ne vit ainsi du fait de ses croyances en France, grâce à la laïcité. Aucune personne ne devrait devoir se cacher parce qu’il exerce sa liberté d’expression ou qu’il l’enseigne.
Cela m’inspire trois réflexions.


Nommer pour combattre

D’abord, il n’est plus possible de parler une nouvelle fois de l’acte d’un déséquilibré. C’est un attentat islamiste commis au nom d’une religion dévoyée, certes, mais dont la forme est bien présente au sein de la République. Lors de l’attentat de Christchurch contre des mosquées en Nouvelle-Zélande, on a bien parlé d’un acte d’extrême-droite, même si l’on imagine bien que ce n’est pas l’acte d’une personne bien équilibrée psychiquement. Les suprémacistes blancs des Etats-Unis qui tirent sur leurs concitoyens sont sans doute des pauvres types déséquilibrés, mais il agissent par idéologie, personne en dehors des trumpistes ne le nie. Pourquoi autant de circonvolutions sémantiques ici pour parler de l’islamisme, qui n’est rien d’autre qu’une idéologie totalitaire en tant qu’elle veut imposer sa pensée à tous ? Il n’est pas possible de combattre le terrorisme si l’on ne s’attaque pas à la racine idéologique. Ce n’est pas stigmatiser les musulmans que de le faire. C’est au contraire les laisser dans les bras des salafistes que de ne pas pointer ces derniers. Les imams victimes de putschs d’intégristes sont les premiers à le réclamer.

La paralysie de l’institution Éducation nationale est aussi la nôtre

Les enseignants sont souvent seuls dans ce type de conflit. Heureusement soutenus par d’admirables chef.e.s d’établissement, directeurs/trices, IEN, qui n’hésitent pas à monter en première ligne. Mais souvent en devant solliciter une assistance juridique personnelle, sans protection fonctionnelle réelle. Lorsqu’une polémique se déclenche sur les réseaux sociaux, il y a une asymétrie totale car l’enseignant ne peut pas répondre (peu d’entre eux d’ailleurs y sont présents avec leur vrai nom, et l’on comprend pourquoi). Et surtout l’Institution est souvent silencieuse. Silencieuse par obligation car elle ne peut pas se placer hors du droit et par tradition comme l’a mis en lumière le « pas de vague ». Ce silence est aujourd’hui une faiblesse que ne comble pas une plateforme de signalements. L’Éducation nationale devrait défendre sans attendre ses agents, comme le fait une collectivité locale, dès lors que ceux-ci sont mis en cause publiquement. Combien d’enseignants ont dû se rendre au commissariat pour répondre d’une plainte? Si les policiers sont souvent gênés et bienveillants, on peut tout de même s’interroger sur la célérité de telles auditions quand de nombreuses plaintes sont traitées au bout de plusieurs mois. Dans quel autre métier est-on convoqué quasi immédiatement au commissariat pour répondre des paroles que l’on a prononcées ? Et dans ce cas, l’enseignant doit pourvoir à sa propre défense. Le problème est donc profond et structurel. Il ne se réglera pas en sanctionnant un Dasen ou une rectrice auxquels on demande par ailleurs d’éviter toutes les polémiques sur la plupart des sujets. J’ai vu trop souvent des enseignants, des écoles, des collèges, traînés dans la boue dans la presse et sur les réseaux sociaux, les plus vindicatifs étant les personnes extérieures à l’établissement n’ayant eu de l’affaire que des informations rapportées et déformées. Il y a donc une responsabilité collective à ne plus laisser une petite minorité de parents menacer, intimider l’École. Cette minorité infime a des relais juridiques et politiques, en l’espèce le CCIF et des intégristes bien connus, qui saisissent la moindre occasion pour enflammer une situation et politiser un problème individuel dont ils connaissent rarement le détail. Cessons la naïveté, donnons toute la place aux parents dans l’école, ne comptons pas notre temps pour ceux qui en sont les plus éloignés. Mais on ne peut pas débattre avec ceux qui refusent l’espace démocratique. Ne pas être naïf c’est aussi faire la part entre la provocation propre à l’adolescence et sa récupération par des officines. Les professeurs savent faire cette distinction et trouver les mots pour dialoguer et convaincre plutôt qu’apprendre à réciter.

L’éducation aux médias associant les parents, une urgence nationale

Les réseaux sociaux ne sont que le reflet de l’action humaine. Certes avec les filtres déformants des algorithmes, avec la prime donnée à l’émotion sur la réflexion. Mais nous savons qu’il est vain de penser qu’on va supprimer de telles applications, d’autant plus quand les critiques les plus virulentes sont rédigées… sur les réseaux sociaux eux-mêmes. Depuis plusieurs années, l’éducation aux médias est redevenue un enjeu central, malheureusement pas souvent considéré comme un enseignement fondamental alors que les médias et le numérique sont présents partout dans notre vie. Mais l’on voit bien que l’École peut faire le maximum de son côté, si tout est détruit à la maison, cela est vain. Il est donc d’urgence nationale de faire de l’éducation aux médias avec les familles, sur tous les temps des enfants et des jeunes, en mobilisant les acteurs scolaires et de l’éducation populaire notamment. Le travail des éducateurs est plus difficile car il ne peut pas répondre à l’émotion par l’émotion, mais doit faire appel au raisonnement et à l’intelligence. Comme le disait déjà il y a près de 100 ans Ferdinand Buisson : « Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit […] et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel. »
Nous savons que la surenchère de la métaphore guerrière est en soi un aveu d’échec et qu’elle ne résoudra rien. Force doit être à la loi, toute la loi, rien que la loi. Mais si l’on veut emprunter à ce vocabulaire, alors oui, réarmons l’école et tous les acteurs laïques. Il ne suffit pas de verser des larmes de crocodile sur les collèges publics dont on a abandonné l’objectif de mixité sociale et dont les moyens humains baissent. Il ne suffit pas de constater que les fondamentalistes ont pris le relais sur le champ de l’éducation si l’on laisse se dissoudre le tissu associatif local, en particulier celui de l’éducation populaire. Démontrons à la jeunesse que la République n’est pas qu’incantatoire. Qu’elle est forte face à ses détracteurs et forte aussi pour faire de l’égalité réelle quelle que soit l’origine sociale et culturelle des citoyens en devenir. Et là, il y a un boulot immense.

Grandir à Villeurbanne

Six années à grandir avec les enfants de Villeurbanne. Ce blog ne résumera pas un mandat très dense où l’éducation fut la priorité municipale. Il en donnera une petite idée, et surtout s’attachera à mettre en lumière les acteurs éducatifs souvent méconnus au-delà de leur école, de leur association, et pourtant géniaux. L’école publique sera à l’honneur comme j’ai tenu à ce qu’elle le soit dans tous mes actes. L’éducation populaire également qui concourt pleinement à l’acte éducatif, ainsi que les parents eux-mêmes.

Une petite explication sur cette photo qui résume beaucoup de choses. Je reçois un jour dans mon bureau une boîte de graines de la part de la directrice de la maternelle Lazare Goujon, Mme Albeny. Un mot l’accompagne demandant une autorisation d’installer un poulailler au sein de l’école. Tout s’y opposait : règlementations sanitaires, nourrissage des poules pendant les vacances, propreté, etc. C’était sans compter sur l’abnégation d’une vraie animatrice d’équipe et de la solidarité de celle-ci. La gardienne (simplement exceptionnelle) en prendra soin pendant les week-ends et les vacances. Les règlementations ont pu être respectées avec quelques aménagements, et la maternelle a augmenté son poulailler d’un clapier. La simplicité d’un projet, le dépassement des cadres et des prérogatives de chacun, et le petit grain de folie qui fait l’étincelle. Y a-t-il besoin de beaucoup plus pour faire un projet éducatif ?

J’en profite pour remercier Magalie Albeny pour tout ce qu’elle est. Et mon ami Mathieu Soares qui a été un collègue engagé à mes côtés pendant la majeure partie de ce mandat. Notre volonté commune de lutter contre les déterminismes sociaux a été, je crois, un grand point d’appui pour entraîner la majorité municipale.

Parrainage de la poule de Lazare sur une idée originale de Magalie Albeny, directrice d’école et avec la participation de Mathieu Soares, conseiller délégué.
Mon premier oeuf carte de voeux !

Végétaliser les cours, une expérience villeurbannaise

J’ai un souvenir précis du déclencheur. 11 août 2017. Je visitais les chantiers d’été comme chaque année. A l’école Edouard Herriot, je vois cette magnifique réalisation bitumée :

Parfait, lisse, pratique, sans accroc. Une cour comme on les aime, dédiée aux sports collectifs, mais aussi à la meilleure rentabilité enfant par mètre carré. Refaire le bitume d’une cour, c’est cher. 150 à 200 000€ pour celle-ci. Et subitement, j’ai l’impression que cet arbre me met en accusation, enserré dans l’artificialisation des sols. Un goudron noir à vous réchauffer tout un quartier. Je me dis que ce n’est plus possible de continuer ainsi. Heureusement, seule la moitié de la cour est faite, l’autre moitié étant programmée pour l’été 2018. Je demande à ce qu’on étudie un enrobé clair et une végétalisation accrue. C’est le début d’un basculement profond dans l’aménagement des cours d’écoles à Villeurbanne. Passons les réticences inhérentes à toute nouvelle idée. Je mettrai plutôt l’accent sur le fait que les services techniques ont peu à peu compris l’intérêt, y compris pour leur métier, de travailler différemment.

Je ne voulais pas simplement un nouvel enrobé. Il fallait un nouveau projet. En 2020, la plupart des candidats aux élections municipales ont promis la végétalisation des cours. Mais rappelons qu’en 2017, presque aucune ville n’avait franchi le pas. Il a donc fallu repenser l’usage d’une cour : pas simplement comme un grand rectangle vide sans aspérité, mais comme un espace à mieux partager. La direction de l’éducation a réfléchi parallèlement à “dégenrer” les cours. En cassant les espaces trop vastes, on limite l’usage majoritairement masculin associé souvent au football. On permet des lieux de rencontre plus mixtes et on laisse davantage de place aux filles, moins contraintes de raser les murs pour éviter les ballons.

De l’enrobé clair à la végétalisation

L’idée initiale était d’abord de changer la couleur de l’enrobé pour une couleur plus claire et donc moins chaude. Des consultations ont été faites pour choisir le meilleur matériau en limitant les coûts. C’est ainsi qu’a été écarté le béton perméable au coût plus important et à l’entretien plus complexe. Eiffage a proposé un enrobé plus naturel à base de terre ocre des carrières de Roussillon. Cet enrobé est aggloméré avec de la colle naturelle issue du bois. Une fois ce pré-requis validé, la direction paysage et nature a dessiné la nouvelle cour en accroissant sensiblement la part du végétal. Ce dessin a été travaillé avec l’équipe pédagogique de l’école ainsi que l’équipe périscolaire. Il s’agissait en effet de redéfinir les fonctions de chaque espace en créant notamment une zone plus calme. Cela peut paraître anodin, mais le grand banc en bois créé sur mesure est en soi une rupture avec une politique ancienne de retirer les bancs des cours. Ce retrait était motivé par la volonté de réduire les accidents. Moins par celle de réfléchir aux besoins des enfants sans doute… Un mixage de zones végétalisées inaccessibles (pour mieux la densifier) et accessible (pour le potager intégré) m’a semblé une réussite et constituer un bon équilibre. Il faut bien sûr imaginer la cour avec des arbres plus âgés pour concevoir la densification végétale.

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Cas d’école

Nous étions sans le savoir les premiers de l’agglomération lyonnaise à lancer un projet si ambitieux, décliné dans deux autres groupes scolaires (Louis-Armand et Lakanal). Nous avons sans doute contribué avec d’autres villes éducatrices à lancer un mouvement devenu une évidence en seulement deux années. Paris lançait les joliment nommées “cours oasis” la même année. Le terme d’oasis montre bien à la fois l’ambition et la limite d’un tel projet. Ambition dans la globalité d’un petit écosystème rafraîchissant à l’échelle de l’école. Limite car un oasis se situe au milieu d’un désert. Pour Edouard Herriot, ce désert est celui des ilôts de chaleur urbaine. En même temps que nous achevions la cour, la copropiété attenante refaisait l’enrobé du parking d’un noir massif et en arrachant une partie de la haie ! La débitumisation est donc bien une affaire de quartier, de ville et de métropole.

Kit pédagogique

J’ai tenu dès le départ à ce que ce projet soit un projet d’école, avec une dimension pédagogique, ce qui a pu être fait grâce à l’enthousiasme de l’équipe enseignante. L’association Fréquence école a développé un kit pédagogique pour l’école Jules Guesde qui était une école témoin car restructurée deux avant. La vidéo ci-dessous décrit bien le travail mené autour des îlots de chaleur urbains et l’utilité des mesures.

Mobiliser la recherche

Les mesures étaient en effet une dimension essentielle du projet : d’une part pour le maître d’ouvrage, afin de mieux mesurer l’effet sur la température de la nouvelle cour ; d’autre part pour les élèves afin qu’ils puissent comprendre le processus et ses effets. J’avais été inspiré par un projet développé par l’ENS Lyon et que j’avais soutenu comme élu au numérique éducatif à la métropole de Lyon. Il s’agissait d’installer des stations météo connectée dans plusieurs collèges. (le détail ici https://blog.tremplin.ens-lyon.fr/GerardVidal/Use_Pi3W_Stretch.html). Grâce à l’École urbaine de Lyon (EUL), et notamment Hervé Rivano, nous avons pu mettre en place un partenariat universitaire mobilisant l’EUL, l’Insa de Lyon, et l’Université Lyon 3. Des capteurs ont été installés dans différentes cour transformées et témoins. L’avantage de l’école Edouard Herriot est qu’elle cumulait les deux qualités.

Et demain ?

Avant la fin du mandat municipal, nous avons programmé trois programmes de cours végétalisées réalisées à l’été 2020. Le reportage suivant en donne une bonne idée :

https://www.bfmtv.com/societe/a-villeurbanne-les-cours-d-ecoles-se-vegetalisent_AV-202008040100.html

Les cours végétalisées que j’appellerais première génération visent à enlever du bitume pour y substituer un peu de végétal et si possible de changer la composition du sol artificiel restant. Les prochaines générations devraient selon moi inverser le paradigme :

  • la cour serait végétale, l’artificialisation étant l’exception.
  • la transformation de la cour devient un élément d’une transformation globale de l’école écologique
  • l’école peut être le point de départ d’une transformation de ses abords puis du quartier dans son ensemble.

Si les inspirations venant de Belgique, de Catalogne, du Danemark ne manquent pas, la France n’est pas en reste avec Strasbourg, Lille et bien sûr Paris. Cette dernière bénéficie de moyens d’ingénierie très importants qui peuvent rendre leur expérience intimidante. Saluons donc la position de la capitale dans l’ouverture de ses données en open source pour diffuser la méthode. A partir de ces expériences, je crois possible de bâtir des projets à une échelle locale, adaptée au moyens des collectivités mais aussi aux contraintes climatiques. Un rideau de houblon rafraichira les classes de Lille, tandis que des essences plus méditerranéennes assureront une ombre appréciable même en cas de sécheresse.

Les “mamans” et les “papas”

D’où nous vient cette curieuse habitude d’appeler les parents “les mamans et les papas” ? Il ne me semble pas qu’elle soit si ancienne que cela. Cela donne : “j’ai reçu le papa de Matéo pour lui parler des problèmes de comportement de son fils” ou “la maman de Soraya vous a appelé pour la demande de dérogation”. J’avais fini par proscrire l’usage de ces termes dans les échanges internes à la mairie pour les remplacer par “mère” et “père”. J’y ai toujours vu plus qu’un problème esthétique : un vrai révélateur de l’infantilisation des parents, une façon surplombante de s’adresser à eux, comme s’ils devaient être nommés différemment en fonction de l’âge de leur enfant. C’est sans doute dit sans arrière pensée et véhiculé par les parents eux-même. Mais derrière ce terme, il y a l’idée que ce sont des parents pas encore tout à fait achevés. Cela m’a toujours gêné que des adultes reprennent entre eux le phrasé des enfants. Se mettre à hauteur d’enfants ce n’est pas les imiter et leur donner une image infantilisée des adultes.

Il me semble que ce glissement tend à renforcer l’individualisme déjà naturel lorsqu’on a un jeune enfant. Sentiment que l’on ressent lors des premiers conseils d’école quand il est difficile aux parents de parler au nom de toutes les familles de la classe et pas simplement à partir de leur propre expérience personnelle. Cela tend aussi à dénier le rôle social du parent en même temps qu’il le déresponsabilise. Il tend à effacer la femme et l’homme qui se mettent à n’exister qu’en fonction de leur enfant, devenir jeune parent impliquant une forme de mise en parenthèse de la vie personnelle. Je suis frappé de voir à quel point une société qui donne l’impression de mettre l’enfant au centre de tout, y compris dans son vocabulaire, a pu autant l’oublier durant la crise Covid. Cela devrait nous rappeler que ce n’est pas l’habit sémantique n’assure pas toujours la réalité des intentions.